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Claire
Landais (France) Revue du haïku 575
A
l'école du haïku - Claire Landais
Le haïku tente d’exprimer une expérience vécue
Ecoles dans la Goutte-d’Or, les pigeons des quartiers difficiles sont
plus maigres que ceux du jardin du Luxembourg, projets zep, rep, dans
la cour, un dragon, derrière le mur, le périphérique, bibliothèques,
ateliers du mercredi.
A cette époque, je partageais la joie d’écrire des haïkus avec des enfants.
Ils trouvaient leur nom de poète : taureau des neiges, océan aux mille
vagues, plume d’aigle, papillon qui vole, mimosa … Je revenais souvent
dans la même classe. Nous regardions la fumée rose dans le ciel au dessus
de la cheminée, la crasse sur le linoléum, le toboggan vide pour cause
de mauvaise saison, les yeux du poisson rouge… Nous écoutions les bruits
de la ville et nos coeurs battants. Les haïkus s’écrivaient, se polissaient,
s’émiettaient parfois sur la table, en confettis, pour mieux se retrouver.
Le
haïku suggère l’émotion
Une école autre
Cette année-là, une autre école. Une porte cochère rouge-brique dont
les deux battants se sont ouverts en grand à mon approche. Une cour
pavée, une statue de la Vierge… « pour l’école, c’est au fond ! » Je
passe sous le tunnel de glycine, je suis l’allée, traverse la cour de
récréation. « La classe est au premier, vous pouvez y aller, quelques
élèves sont en haut ».
« Bonjour, vos professeurs m’ont dit que vous étiez là. Je m’appelle
Claire. Je viens écrire de la poésie avec vous». « Vous avez trouvé
facilement ? Vous n’êtes pas trop fatiguée, vous voulez un thé ou un
café ? ». Ce sont des adolescents qui me font cet accueil. Il en sera
ainsi, chaque semaine, pendant une année. Le « tu » remplacera le «
vous ».
La récréation est finie. Les sept élèves de la classe sont assis. Leurs
doigts glissent sur des pages imprimées en braille, un ou deux parviennent
à lire en gros caractères. Il y a aussi les jambes blessées par l’accident
qui a rendu aveugle, le repli dans un monde en lisière ou dans un demi-sommeil,
le refus de nos sentiers où l’on se cogne à trop d’obstacles, la force
qui va jusqu’ à se faire mal pour s’assurer que l’on existe.
Pourtant, dès la première lecture, ils sentent, écoutent longuement,
entendent. Nous explorons dedans et dehors. Un jour, nous nous promenons
dans l’ancien jardin du couvent, « l’écorce des marronniers est chaude,
ta main est encore plus chaude, je peux toucher ton visage, pour voir,
les cailloux du chemin ont des tailles différentes, je sais venir seul
à l’école, quand je serai grand je m’occuperai de chevaux, où est-ce
qu’on est exactement ? ». Ils se souviennent et ils écrivent.
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Le
haïku est une école de l’extrême attention
Les cartes bigraphiques
Acheter le papier a été le plus simple, pas n’importe quel papier, tous
ne conviennent pas au braille. Il faut d’abord imprimer les lettres
en noir sinon le braille serait écrasé ! Ensuite pour le braille, il
faut aller dans une imprimerie spécialisée. Les techniciens sont non-voyants.
« A quoi ça sert une mise en page ? Pour nous, c’est inutile. Le beau
papier aussi, c’est cher et ça ne sert à rien. » « Oui mais ce sont
des cartes pour les non-voyants et pour les voyants, les parents, les
frères et soeurs. Pour ceux qui voient, le braille c’est très beau mais
si le texte est mis n’importe où sur la carte, ça enlève beaucoup, vous
comprenez. Est-ce qu’on peut tout recommencer ??? » Les cartes seront
superbes de l’avis des uns et des autres.
Le haïku est une école
de l’écoute
La fête de fin d’année
Lisa est venue improviser sur les haïkus avec son violoncelle. « C’est
simple, vous lisez un de vos haïkus, si Lisa a envie de jouer, elle
le fait, sinon vous en lisez un autre. » Un comédien lit des extraits
du journal de Bashô. Les enfants de 10 à 16 ans écoutent avec grande
attention. La porte du préau s’ouvre doucement. Le directeur de l’institut
entre, écoute à son tour, cinq, dix, quinze, trente minutes… Il regarde
les yeux ronds ces adolescents ne perdant pas une miette du long voyage
du poète jusqu’au cœur du vide et repart.
nouvel an (chinois et tibétain) 2008
Claire Landais, artiste multiforme (écriture et illustration de livres
pour la jeunesse, poète et éditrice, voyageuse, conteuse, ...), a écrit
trois carnets de voyage tissés de poèmes dans l’esprit du haïku : A
l’ombre de la lanterne et du moineau / Au pays du froid-chaud / Il ne
faut pas rêver en Inde, aux éditionss Paupières de terre.
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article
/ échos culturels - mairie 18ème
«
Qu’est-ce que la vie ?
C’est l’éclat d’une luciole dans la nuit.
C’est le souffle d’un bison en hiver.
C’est la petit ombre qui court dans l’herbe
Et se perd au coucher du soleil »
Je termine une lecture par ce poème de Crowfoot. J’ose un peu gênée
:
«
Et pour vous, qu’est-ce que la vie ? » Je m’adresse à une dizaine de
très vieilles dames, fauteuils roulants en demi-cercle sur le linoléum
vert de la salle d’atelier d’écriture. L’une d’entre elle sort de ce
que je prends pour une absence. Elle parle avec peine : « Quand il n’y
a plus d’espoir, vraiment plus rien, quelque chose qui n’a pas de nom
monte en moi. C’est pour ça que je veux rester encore un peu. » Au moment
de la saluer, je lui demande son nom : « Madame Loiseau, c’est simple
pour vous souvenir, je suis une colombe. » On la pousse déjà dans le
couloir...
Un vieux café de Montmartre. Au programme, dîner-lecture Jacques Prévert.
Ce soir-là, la vie a réuni : un jardinier et son apprenti au regard
clair, un poète érudit français, un poète bengali, quelques habitants
de l’hôtel (location de chambres au mois) au dessus du café, le gendre
de Jacques Prévert venue par hasard…, une merveilleuse vieille dame
roumaine, un accordéoniste, roumain lui aussi, une jeune femme enceinte
d’origine algérienne, une belle jeune fille dans sa robe rouge et ses
parents, quelques amis… Tout le monde écoute, lit, même le jardinier
au regard clair. Tard dans la nuit, sur le trottoir du café, on a du
mal à se séparer.
La poésie nous écoute, nous attend… elle demande juste un peu de bonté,
non pas pour elle mais pour ce dont elle est la trace.
Claire
landais 1998
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